Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

littérature française - Page 4

  • CR242 : le vase où meurt cette verveine - Frédérique Martin

    compte rendu de lecture,littérature,littérature française,livre,culture,confitureC'est un cadeau de noël. Parait-il que je l'avais mis sur ma liste. Je ne m'en souviens plus. Peut-être que j'avais été subjugué par le titre..le vase où meurt cette verveine (extrait d'un poème de Sully Pruhomme).

    Pour des raisons de santé, Joseph et Zika, un couple de septuagénaires, doivent se séparer et quitter leur maison après cinquante huit ans de vie commune ininterrompue. Chacun est pris en charge par un des enfants. Commence alors une relation épistolaire où l'on se dit qu'on s'aime, qu'on se manque, on se rappelle les jours heureux, de la jeunesse, des enfants, ce qu'on n'a pas pas bien fait pour qu'ils soient si ingrats, et puis il y a la verveine dont Joseph doit s'occuper mais finalement elle meurt, symbolisant le dénouement  de cette histoire familiale pas drôle (nouvelle variation sur le thème 'les familles sont des asiles de fous') somme toute très moderne. 

    Si l'histoire tient  la route et donne à réfléchir sur la vieillesse et sa prise en charge, une fois de plus, j'ai été agacé par un roman épistolaire...deux êtres s'envoient des lettres, ce ne sont pas des fins lettrés (Joseph travaillait dans l'agriculture, je crois) et pourtant le style est impeccable, style d'écrivain en fait, et surtout, il n'y aucune différence entre les lettres sur la forme. On a tous son propre style, non ? Par ailleurs, afin d'informer le lecteur de certains événements ayant jalonnés leur vie (rencontre par exemple), l'auteur a dû faire dire a chacun des émissaires, des choses qu'ils savaient puisque les ayant vécu tous les deux. Cerise sur la gâteau : les lettres sont émaillées de dialogues dont le but est de retranscrire au mieux le quotidien de chacun. 

    C'est la raison pour laquelle, je ne suis pas fan des romans épistolaires. Ou on fait un roman épistolaire, et alors le narrateur doit vraiment se mettre dans la peau de celui qui écrit et abandonner son style propre( pas évident mais bon) soit on fait un roman tout court avec un narrateur extérieur au roman mais qui sait tout. 

    lecture : janvier 2013
    folio n°3309, 117 pages
    note : 2.5/5
    à suivre : oh, Philippe Djian

  • CR240 : Le Grand Meaulnes - Alain-Fournier

    GrandFOURNIERrec.jpgJe stipulais dans une précédente note que je n'avais pas ressenti les mêmes émotions lors de cette deuxième lecture que lors de la première il y a à peu près 25 ans. Car il y a quelque chose dans Le Grand Meaulnes qui ne parle qu'aux adolescents et pour l'adulte qui s'y plonge, le but ne peut être que se rappeler l'adolescent qu'il fut. 

    Ceci dit, même lu adulte, le roman reste troublant. A ce point troublant qu'une semaine après l'avoir terminé, je m'y suis replongé toute la soirée, butinant ici ou là et m'arrêtant plus précisément sur la fête étrange dans ce 'domaine mystérieux' quelque part dans la campagne solognote lors de laquelle des enfants parés d'effets seyants dansent pendant que des adultes festoient et ripaillent en attendant un couple de mariés qui n'arrivera jamais. S'imagine-t-on un château à moitié délabré dans lequel la fête s'organise jusque dans les moindres recoins ?

    Dans les couloirs s’organisaient des rondes et des farandoles. Une musique, quelque part, jouait un pas de menuet… Meaulnes, la tête à demi cachée dans le collet de son manteau, comme dans une fraise, se sentait un autre personnage. Lui aussi, gagné par le plaisir, se mit à poursuivre le grand pierrot à travers les couloirs du domaine, comme dans les coulisses d’un théâtre où la pantomime, de la scène, se fût partout répandue. Il se trouva ainsi mêlé jusqu’à la fin de la nuit à une foule joyeuse aux costumes extravagants. Parfois il ouvrait une porte, et se trouvait dans une chambre où l’on montrait la lanterne magique. Des enfants applaudissaient à grand bruit… Parfois, dans un coin de salon où l’on dansait, il engageait conversation avec quelque dandy et se renseignait hâtivement sur les costumes que l’on porterait les jours suivants…

    Augustin Meaulnes qui a débarqué dans cette fête tout à fait par hasard (après s'être perdu dans la campagne lors d'une fugue) fait la connaissance d'Yvonne De Gallais, la soeur de Frantz, le maître des lieux qui devait se marier (et qui reviendra seul avant de repartir comme une ombre). Alors la fête s'interrompt, s'estompe même pourrait-on dire tant elle semble être sortie d'un rêve. Le Grand Meaulnes rentre à Sainte Agathe où il retrouvera son ami François (le narrateur) et le Cours Supérieur. La suite de son existence ne sera qu'une quête, qu'une enquête...qu'était cette fête ? Où se situe le domaine mystérieux ? Qu'est devenu Yvonne de Gallais ? Le roman se déroule, les années passent mais les échos de la fête continuent de résonner. Et là, je ne peux m'empêcher de citer Daniel Leuwers qui préface l'édition de poche :

    Le merveilleux de ce roman réside dans un secret mouvement de balancier où le temps courtise son abolition, tandis que s'élève la rumeur d'une fête étrange dont la hantise se fait d'autant plus forte que l'existence s'en éloigne irrévocablement. 

    Tout est dit.

    lecture : octobre 2012, le livre de poche, note : 4/5

     

     

  • CR238 : les lisières - Olivier Adam

    9782081283749.jpgA la base, le roman devait s'appeler théorie des lisières. Je me demande si ce n'est pas parce qu'un autre gros roman de la rentrée s'appelle théorie de l'information (qui ne me fait pas du tout envie) que d'aucuns, l'éditeur ou l'auteur, ont décidé de changer le titre. Et puis, les théories de...c'est comme l'écologie, ça commence à bien faire. Il y a quelques années, on s'est tapé des éloges de en veux-tu en voilà, maintenant, ce sont des théories. Pourquoi pas, hein, moi aussi j'échaffaude des théories dans ma voiture (mais je ne les publie pas) mais ça fait quand même un peu présomptueux. Toujours est-il que c'est quand même quelque part une théorie que nous rapporte Olivier Adam dans ce roman autofictif (lui aussi y a sombré). Le narrateur, Paul Steiner ( ça claque) écrivain à succès de son état s'est retranché depuis quelques années en Bretagne où il coule des jours plutôt tristes depuis qu'il est séparé de sa femme et qu'il ne voit ses deux enfants que  de temps en temps (d'émouvantes pages sont dédiées à la joie des retrouvailles, à l'amour plus fort que tout d'un père pour ses enfants). Il doit se rendre en région parisienne où il est né et a grandi pour rendre visite à sa mère, victime d'une mauvaise chute. Ce retour aux sources est l'occasion pour  Paul de revenir sur ses années d'enfance dans cette petite ville périphérique. Il y retrouve des amis d'enfance qui pour beaucoup sont restés croupir dans ce no man's land pavillonaire qui le dégoute profondément tant il est laid et monotone. Le temps est venu de balancer sa science, sa théorie. Pourquoi se sent-il perpétuellement à côté de la fête ? Parce qu'il est un homme des lisières...lisières de la capitale dans un premier temps et lisières de la France ensuite en allant s'enterrer, ou s'emmerrer sur le littoral breton. Il est beaucoup question de cette France pavillonaire, de son mode de vie, de son vote, de ses aspirations. Paul, lui, a tout compris, il a embrassé le monde dans sa totalité, en a compris la complexité, il est donc de gauche et s'engueule gentiment avec son frère ainé, vétérinaire de droite et son père tenté par la blonde du fn. C'est intéressant à lire, c'est du brut de décoffrage. Paul vit en lisisères de tout. Il ne supporte pas le microcosme littéraire non plus, il ne supporte rien ce rabat-joie. Torturé de nature, il est touché par la Maladie et c'est lors de ce retour dans la maison de son enfance qu'il apprend par hasard un secret de famille qui a son sens explique ce manque qu'il ressent depuis son enfance. 

    C'est un roman très ambitieux, légèrement agaçant mais pas prétentieux du tout. Sur le fond, il est d'ailleurs difficile à critiquer tant l'auteur aborde les problématiques dans tous les sens, par tous les bords, en n'oubliant pas de faire son autocritique. Il circonvolue sans cesse et ferme la boucle avec talent. De ce récit, je dirais, qu'il est d'un humain avant tout, ou à l'os comme le répète souvent l'auteur lors de ses passages médiatiques. 

    lecture : octobre 2012, éditions Flammarion, kindle, note : 4/5

    Loïc LT

  • CR237 : l'herbe des nuits - Patrick Modiano

    compte rendu de lecture, littérature, patrick modiano, lecture, roman, livre, culture, littérature françaiseL'herbe des nuits, c'était bien. Voyez comme je suis inspiré en ce moment. Première lecture depuis deux mois, c'est déjà une bonne chose. Maintenant, il faut se remettre à écrire, trouver les mots, les idées. C'est difficile pour moi, de plus en plus difficile. J'ai du mal à m'exprimer. Confortablement installé dans ma petite vie d'ouvrier, normalement accaparé par mes responsabilités familiales, occupé dans mon jardin dont je ne sais en fin de compte si le jeu en vaut la chandelle, la littérature est reléguée au second plan. Alors l'autre jour, je me suis dis qu'il fallait réagir, se forcer un peu bon sang, sinon on se laisse aller comme ça, on trouve toujours autre chose à faire qu'à lire...il faut que tu t'y remettes me suis-je dis et donc ça tombait bien puisque le jour du sursaut coincida avec celui de la sortie du nouveau roman de Patrick Modiano, qui bon an mal an reste sans doute mon écrivain préféré. 

    Alors, l'herbe des nuits, c'était vraiment bien ? Oui. Mais encore ? C'était du Modiano tout simplement. Le narrateur s'appelle Jean et il évolue dans le Paris d'aujourd'hui, ce Paris où d'aucuns usent d'Iphone (l'auteur en parle, c'est fou non...pas vraiment mais quand c'est Modiano, ça fait bizarre) et il possède un petit carnet noir dans lequel il a pris des notes à propos de personnages un peu louches avec qui il fit plus ou moins connaissance dans les années 60. C'était une sorte de bande aparemment d'origine marocaine que Dannie, l'amie de Jean  (avec qui il ne couche pas hein, ah non, pas de ça chez Modiano -) et proche de la bande appelait 'les toquards de l'Unic Hôtel', l'Unic Hôtel étant un  hôtel situé dans "l'arrière-Montparnasse" (c'est à dire dans le Montaparnasse périphérique où personne ne va sauf les héros de Patrick Modiano) dans lequel se retrouvait la bande afin sans doute de préparer un mauvais coup. 

    Quel mauvais coup ? L'exquis en même temps qu'agaçant François Busnel (agaçant cette façon se s'adresser à ses interlocuteurs à la 3ème personne) y a vu l'ombre de l'affaire Ben Barka dont je viens de prendre connaissance sur wikipedia. Soit. Peut-être mais qu'importe. Qu'importe car dans les romans de Modiano, l'histoire ne compte pas autant que l'atmosphère et les phrases qui l'évoquent. Pour l'anecdote, il y a un mort à la fin. On ne sait pas trop qui (Ben Berka lui-même ?). 

    Mais les dimanches, surtout en fin d'après-midi, et si vous êtes seul, ouvrent une brèche dans le temps. Il suffit de s'y glisser. C'est juste ce que je demande à un bon roman : une atmosphère et quelques phrases qui font mouche. 

    A propos de ce roman, Eric Chevillard écrit

    Je lis L’Herbe des nuits, le nouveau roman de Modiano, comme à chaque fois porté aux nues par la critique. Et certes l’auteur est attachant, certes il a un univers : Paris le soir il y a longtemps. Mais tout de même, c’est bien fluet, non ? Pauvre en sucre, pauvre en graisse. On ne va pas s’en crever la panse, sûr. Et si cette poignante nostalgie qui nous vient en le lisant était d’abord celle de la littérature ?

    ...

    lecture : octobre 2012, éditions Gallimard, kindle, note : 4/5

  • CR236 : ouvrière - Franck Magloire

    Ouvriere.jpgOuvrière n'aurait jamais dû avoir l'honneur de  subir ma lecture...et du coup ma critique...attention...Mais voilà, un fait divers en a décidé autrement et ce récit de Franck Magloire sorti en 2002 a débarqué sur ma tablette quelques jours après que je terminai l'établi de Robert Linhart. Les deux romans ont le point commun de traiter de la vie ouvrière mais globalement, la comparaison s'arrête là.  

    La mère de l'écrivain fut toute sa vie une employée modèle  et discrète d'une usine Moulinex (nous possédions jusque dimanche dernier un barbecue électrique de marque moulinex mais il a brutalement rendu l'âme alors que les saucisses étaient à peine cuites, du coup, on a dû les finir à la poèle..ndlr) située en périphérie de Caen (sont-ce ses jambes..magnifiques que l'on voit sur la couverture ?). Après la fermeture de l'usine, son fils entreprend d'écrire sa vie d'ouvrière. Le travail s'effectue à deux. Elle raconte, il écrit. Mais elle est la narratrice. Dispositif très subtile qui tient la route je dois dire, même si au début, on est un peu surpris qu'une ouvrière s'exprime avec autant de raffinement. 

    C'est le récit de son quotidien d'ouvrière du hasard de son embauche jusque la retraite (et qui si je me souviens bien se produit en même temps que la fermeture définitive de l'usine).  Au plus près de la réalité, avec sincérité sans rien cacher, sans exagérer dans un sens ou dans l'autre. Solidarité entre ouvriers, amitiés, conflits, révoltes...il y a de la colère par moments mais ce n'est jamais militant...et puis par moments des quasi-déclarations d'amour  mêlées d'un certain fatalisme quant au sens de tout celà, en forme d'envolée lyrique...

    Je ne saurais dire s'il s'agit d'une sorte de bonheur familial à invoquer malgré la dureté des angles, d'une sève humaine mêlée et foncièrement incompressible qui absorberait l'assèchement du béton armé et le bruit incessant des machines dans les ateliers...ou bien si c'est le corps entier de l'usine elle-même, mère nourricière engrossée par le paternalisme des chefs à tous les niveaux de la hiérarchier, qui nous exhorte à croire à cette seconde famille...comme aujourd'hui dans leur journal interne et sur ces photos d'hier placardées en frise historique à l'accueil.... le temps nous déborde, qu'on le veuille ou non, nous vieillissons avec l'usine qui demeure...(p77)

    C'est un très beau récit qui rappelle aussi que l'ouvrier n'est qu'un pion qu'on déplace ou qu'un supprime sur l'échiquer de la mondialisation financière. Aujourd'hui, Moulinex n'est plus qu'une marque qui fabrique des barbecues électriques peu fiables: toutes les usines normandes du groupe ont fermé ou ont été cédées. L'établi se termine également par la fermeture de l'usine. A chaque fois, quelque part, on a envie de se dire : tout ça pour ça. 

    lecture : juillet 2012, Points, kindle, note : 4/5

  • CR235 : l'établi - Robert Linhart

    compte rendu de lecture,littérature,littérature française,livre,culture,robert linhartAh ba, je croyais avoir fait le compte rendu de l'établi mais non en fait. Comme le match de foot est chiant et que je suis seul et bien pourquoi ne pas m'y mettre, ça fait quand même déjà trois semaines que je l'ai lu. J'ai découvert Robert Linhart dans l'émission Hors-Champs de Laure Adler sur France Culture. Il fut dans les années 60 l'un des principaux leaders d'un mouvement maoïste (avant de couler une bielle par la suite, ce que raconte sa fille Virginie dans le jour où mon père s'est tu) et à ce titre, avec ses camarades, décision fut prise de s'établir incognito dans les usines afin déjà de voir en vrai la réalité du monde ouvrier et puis de tenter de semer les graines de la révolte. Fin 1968, quelques mois après la Grande Révolution donc, Robert a choisi sa proie : ce sera l'usine Citroen de Clichy où l'on fabrique essentiellement des 2CV. Dans l'établi (écrit 10 ans après l'expérience et n'ayant pas pris de note, en faisant appel à se seule mémoire), Robert raconte ces quelques mois parmi les ouvriers. Il raconte comment il se fait embaucher très facilement (on ne s'embarasse pas trop avec les formalités à cette époque-là) et comment les premiers jours, il ne parvient pas à faire ce qu'on lui demande tant il est emprunté. Bon an mal an, il arrive à se stabiliser à un poste et là, au fil des semaines, tranquillement il essaie de rentrer en contact avec les ouvriers, afin de voir ce qu'ils ont dans le ventre. Il est déçu de constater un certain fatalisme chez ces derniers et puis surtout il réalise que ses belles idées révolutionnaires ne pèsent pas lourd à côté du poids du quotidien. Le système répressif très subtil mis en place par Citroen est par ailleurs implacable. Les petits chefs lèchent le cul des grands pontes et l'organisation de la production empêche toute vélléité contestataire. Robert se trouve un peu coincé et se désespère.

    Et puis arrive un jour où une nouvelle injustice s'abat sur les ouvriers : la direction décide subitement que les jours non travaillés pendant les événements du printemps 68 doivent être récupérés (je schématise) et que donc tous les salariés vont devoir finir une heure plus tard tous les soirs pendant quelques mois. Devant le manque de réactivité du syndicat (qui en prend pour son grade pendant tout le récit tant il apparaît comme étant à la botte de la direction), Robert et quelques autres meneurs décident de passer à l'attaque. Un jour où tout le monde devait finir à 18:00 au lieu des habituels 17:00, un débrayage a lieu, pas très bien suivi les premiers jours et puis, petit à petit le mouvement prend de l'ampleur. Robert est heureux, il a  ce qu'il voulait. Mais la direction réagit, fait du chantage auprès des africains en situation plus ou moins irrégulière. Certains sont même virés. Robert est fourgué dans une annexe en dehors de l'usine, il perd le contact et le mouvement se termine en queue de poisson. Par ailleurs, on a découvert que Robert était un intellectuel de gauche. Démasqué il est viré mais il s'en fout, il n'avait pas prévu rester. Et de toute façon, le jour où il quitte l'usine, celle-ci ferme définitivement ses portes.

    C'est un document remarquable, non seulement sur le combat contre les puissances obscures du capitalisme mais aussi sur le quotidien des ouvriers dans les années 60. La fraternité entre tous ces gens de nationalités différentes (beaucoup d'africains et de yougoslaves) est touchante. Robert retranscrit à merveille la petite histoire de chacun, les drames, les joies car (clin d'oeil à Franck Magloire qui a eu la gentillesse de m'envoyer un petit mail),

    les bourgeois s'imaginent toujours avoir le monopole des itinéraires personnels. Quelle farce ! Ils ont le monopole de la parole publique, c'est tout. Ils s'étalent. Les autres vivent leur histoire avec intensité, mais en silence'

    Même si depuis, beaucoup de choses ont changé et que, bon an mal an,  la condition des ouvriers s'est quand même améliorée, le rapport de force entre les dominants et les dominés est toujours là, mais on ne sait plus trop qui sont les dominants, dans quel tour de quel pays ils prennent des décisions ayant pour but d'augmenter les marges. Il faut lire l'établi, qui par ailleurs est un bijou littéraire. Bravo Robert. Ce monde de fous a besoin de visionnaires comme toi. 

    lecture : juillet 2012, éditions de minuit, kindle, note : 4/5

    loïc LT

     

  • coup de coeur : *l'établi* de Robert Linhart

    57.jpg

    Fin 1968, l'intellectuel maoïste Robert Linhardt décide de se faire embaucher dans l'usine Citroen de Choisy afin de vivre au quotidien avec les ouvriers et de tenter d'y instiller ses idées révolutionnaires. Ce livre est un document incroyable sur la condition ouvrière, vu ici sous l'angle unique la la lutte des classes. C'est un parti pris évidemment mais n'empêche que c'est un livre très fort doublé d'une oeuvre littéraire. Pendant 2 jours, je me suis senti presque communiste. 

    Un petit extrait savoureux pour mettre en bouche  (avant un hypothétique compte rendu) ? Un jour , un des grands directeurs, entouré de proches collaborateurs viennent faire une petite visite :

    "Trois heures et demi. Qu'est-ce que c'est que ça, encore ? L'atelier est envahi. Blouses blanches, blouses bleues, combinaisons de régleurs, complets-veston-cravate... Ils marchent d'un pas décidé, sur un front de cinq mètres, parlent fort, écartent de leur passage tout ce qui gêne. Pas de doute, ils sont chez eux, c'est à eux tout ça, ils sont les maîtres. Visite surprise de landlords, de propriétaires, tout ce que vous voudrez (bien sûr, légalement, c'est des salariés, comme tout le monde. Mais regardez-les : le gratin des salariés, c'est déjà le patronat, et ça vous écrase du regard au passage comme si vous étiez un insecte). Élégants, les complets, avec fines rayures, plis partout où il faut, impeccables, repassés (qu'est-ce qu'on peut se sentir clodo, tout à coup, dans sa vareuse tachée, trouée, trempée de sueur et d'huile, à trimbaler des tôles crues), juste la cravate un peu desserrée parfois, pour la chaleur, et un échantillon complet de gueules de cadres, les visages bouffis des vieux importants, les visages studieux à lunettes des jeunes ingénieurs frais émoulus de la grande école, et ceux qui essayent de se faire la tête énergique du cadre qui en veut, celui qui fume des Marlboro, s'asperge d'un after-shave exotique et sait prendre une décision en deux secondes (doit faire du voilier celui-là), et les traits serviles de celui qui trottine tout juste derrière Monsieur le Directeur le plus important du lot, l'arriviste à attaché-case, bien décidé à ne jamais quitter son supérieur de plus de cinquante centimètres, et des cheveux bien peignés, des raies régulières, des coiffures à la mode, de la brillantine au kilo, des joues rasées de près dans des salles de bain confortables, des blouses repassées, sans une tache, des bedaines de bureaucrates, des blocs-notes, des serviettes, des dossiers... Combien sont-ils ? Sept ou huit, mais ils font du bruit pour quinze, parlent fort, virevoltent dans l'atelier. Le contremaître Gravier a bondi hors de sa cage vitrée pour accueillir ("Bonjour, Monsieur le Directeur... blablabla... Oui, Monsieur le Directeur... comme l'a dit Monsieur le chef de service adjoint de... prévenu... les chiffres... ici... la liste... depuis ce matin... blablabla... Monsieur le Directeur") et Antoine le chef d'équipe court aussi se coller à la troupe, et même Danglois, le régleur du syndicat jaune, sorti d'on ne sait où, ramène sa blouse grise et son tas de graisse pour accompagner ces messieurs. Et tout ce beau monde va, vient, regarde, note, vous bouscule au passage, envoie chercher ceci, envoie chercher cela.
    Au milieu, leur chef, Monsieur le directeur de je ne sais plus quoi (mais très haut dans la hiérarchie Citroën, proche collaborateur de Bercot, s'il vous plaît), Bineau. Gros, l'air autoritaire, sanglé dans un complet trois pièces sombre, rosette à la boutonnière. Il a une tête de type qui lit le Figaro à l'arrière de sa DS noire étincelante, pendant que le chauffeur à casquette fait du slalom dans les embouteillages. Il mène la danse, Bineau. L'air pas commode avec ça : on n'aurait pas intérêt à essayer de lui raconter des histoires. Regard perçant, ton cassant, soyez précis, soyez bref, je comprends vite, mon temps c'est beaucoup d'argent, beaucoup plus que vous n'en verrez passer dans l'année. Un vrai meneur d'hommes. Mieux : un manager. L'œil fixé sur la courbe irrégulière du cash-flow.


  • CR231 : un détour par la vie - Henri Thomas

    876351572.jpgJ’aurais tant aimé adorer cet écrivain que je suis déçu de devoir faire part de ma déception suite à la lecture de ce roman qui n’a de beau et d’original que le titre. Un détour par la vie, quand même, quoi ça promettait nan ? Gambetti, lui, évoluait dans extinction de Thomas Bernhard, ça en jette aussi, mais l’intérieur a tenu ses promesses et puis aujourd”hui, des mois après, extinction est toujours présent grâce à ce Gambetti, qui est devenu, en quelque sorte, l’agrégateur imaginaire de tous mes interlocuteurs et antagonistes.
    Il n’en sera pas de même pour Henri Blécher, qui a défaut d’être un héros est le personnage principal de un détour par la vie, ce roman dont il me faut maintenant tenter l’écriture du résumé. Blécher étudiant en droit à Strasbourg est logé chez l’un de ses professeurs, Mr Bourquet en compagnie de Picot un type avec qui il n’a pas beaucoup d’affinité. L’action se déroule à la fin des années 30. Contre toute attente, Blécher quitte la maison et ses études pour se rendre à Paris retrouver la femme qu’il aime. Bien qui soit plutôt transparent, pas mal de gens gravitent autour de lui..le professeur qu’on ne croyait plus revoir réapparaît, pour qui, pour quoi, il est attaché à Blécher. C’est bizarre souvent, les événements n’ont pas de cohérence et l’auteur disserte sur des détails dont on n’a que faire, sur des personnages de second plan, comme la copine d’un ami de Blécher qui doit rapatrier des meubles d’Italie et qui aimerait bien que la mère de Blécher accepte de les entreposer dans la ferme qu’elle possède dans l’Est, je ne sais plus trop où. En fait, ça n’a ni queue, ni tête, genre aussi quand Blécher fait sa fugue, il retrouve Gywnever, son ami dans le train, et il sort du wagon après que deux filles, inconnues de lui et de son ami y soient entrées. Blécher se rend compte, arrivé à Paris qu’il a perdu les clefs de sa chambre (celle que lui loue le professeur) dans le train, heureusement, Gywnever les a retrouvé...mais pourquoi l’auteur revient-il sans cesse sur les deux filles dont on ne sait rien et avec lesquels ni Blécher ni son ami n’ont parlé ? Tout est un peu comme ça, C’est incohérent, informe et à peine bien écrit. Une autre petite étrangeté : le petit texte de la 4ème de couverture n’est pas un extrait du livre alors qu’il en avait l’air.
    Et sinon alors, quel est ce détour par la vie ? C’est peut-être le fait que Henri Blécher décide comme ça subitement d’interrompre ses études afin de vivre pleinement à Paris, afin d’aimer et de se laisser vivre. Henri Thomas en parle dans apostrophe mais il faut payer pour écouter. Peut-être vais-je le faire.
    Bon, Gambetti m’a dit qu’il fallait persévérer avec Henri Thomas, qu’il n’y a que comme ça que l’on peut pénétrer son univers. Persévérons alors.

    lecture : 05.2012
    Gallimard, nrf, 178 pages
    année de parution : 1988
    note : 1.5/5

  • un détour par la vie (histoire d'un achat)

    un détour par la vie.JPG

    Ce titre m’a tout de suite interpellé. Prisca aussi d’ailleurs. Elle était là près de moi et j’étais en train de surfer sur ce qu’on appelle communément l’internet. Concrètement, je fouinais dans la bibliographie d’Henri Thomas, mon nouveau chouchou ( et tu vas voir que dans quelques mois, je vais en dégainer un autre et je sais même déjà qui c’est : Henri Calet, encore un Henri, tiens).
    Un détour par la vie : je m’imagine la chose : un poète , un vrai, un solitaire, reclus, il vit en marge, loin de tous, loin du monde. Et puis l’amour frappe à sa porte mais pour le conquérir, il doit sauter dans le grand bain de la vie, juste provisoirement peut-être, il doit faire un détour par la vie. Mais je n’ai pas réussi à trouver de résumé. Il n’y a pas sur la toile l’ombre du début d’un commentaire ou du critique de ce livre. Juste à deux ou trois endroits, les trois lignes de la 4ème de couv : “J’étais poursuivi par ce qui bouge, s’envole, tourne et change tout en restant fidèle malgré soi à la vie qui passe. J’ai fait pour te trouver un détour par la vie.”
    (entre parenthèses, bizarre cet usage du soi. J’aurais écrit moi, non ? pour une fois, quand je pose des questions sur ce blog, j'aimerais bien que quelqu'on réponde, je suis énervé ce soir, je crois que chacun comprend pourquoi)
    Sans plus de détails et rien que pour le titre, donc, j’ai procédé à l’achat dudit livre publié dans la fameuse collection blanche de Gallimard. Quelques jours plus tard, un type vêtu d’une tenue bleu foncé est sorti d’une automobile de couleur jaune et a glissé l’objet dans une boite métallique verte posée sur un trépied à l’entrée de la propriété. C’est du concret ce que je raconte là, c’est la vie de tous les jours et le type en question exerce la profession de facteur au sein du groupe la poste qui est une société anonyme depuis 2010. Sur ce, j’ai fait un détour par la boite aux lettres (c’est ainsi qu’on appelle la boite métallique servant à entreposer le courrier) afin de prendre possession dudit livre qui était emballé dans une sorte d’enveloppe avec du papier bulle à l’intérieur.
    Depuis, un détour par la vie est des nôtres. En attendant d'être consommé, Il est posé sur un meuble ikea expedit. Il attend son tour. Il attend que je redescende de la montagne magique. Espérons que le détour par la vie ne soit pas la morne plaine.
    Petite anecdote concernant HT (que je tiens de Luc Autret, un type qui bosse dans un obscur service de référencement des livres), il parait que François Mitrand aimait beaucoup Henri Thomas et qu’il l’avait même convié à l’Elysée. Le poète est arrivé mal fagoté (je rappelle qu’Henri Thomas ne savait pas s’habiller) et je ne sais pas ce qui s’est passé après.

    llt


  • Henri Thomas, un certain poète #2

    Avril

    Je songe, je perds
    mon peu de raison,
    je vois le désert
    au fond des maisons,

    Le printemps revient,
    qu’est-ce que j’attends ?
    on ne cueille rien
    aux vignes du temps,

    — rien, mais sous l’azur
    dorment mes images,
    frissons de l’impur,
    noirceur des feuillages,

    — rayons hésitants,
    nuages des jours,
    que me veut le temps ?
    j’ai d’autres séjours.

    (signe de vie, Gallimard)

    J'ai eu du mal à trouver un nom pour ce petit hommage en poèmes à ce grand poète que fut Henri Thomas. Un certain poète m'est venu comme ça entre deux portes et je trouve que ça définit bien sa poésie et son existence. Mais évidemment, l'expression étant trop évidente, elle a déjà été employée par une certaine Florence Chapiro.

    J'ai reçu hier par la poste ses poésies parues chez Gallimard. Elles rassemblent les recueils travaux d'aveugle, signe de vie, le monde absent, nul désordre et sous le lien du temps. Un poème, c'est à prendre ou à laisser. Si le premier vers ne me parle pas, je n'insiste pas. Je recherche sens et musique.

    — rayons hésitants,
    nuages des jours,
    que me veut le temps ?
    j’ai d’autres séjours.